Jérôme


  ** Morceau choisi : la Frontière
 
  On rencontre quelqu’un, en personne ou par écrit. La première étape consiste à constater l’existence de l’autre : il peut arriver que ce soit un moment d’émerveillement. A cet instant, on est Robinson et Vendredi sur la plage de l’île, on se contemple, ravi qu’il y ait dans cet univers un autre aussi autre et aussi proche à la fois. On existe d’autant plus fort que l’autre le constate et on éprouve un déferlement d’enthousiasme pour cet individu providentiel qui vous donne la réplique. On attribue à ce dernier un nom fabuleux : ami, amour, camarade, hôte, collègue, selon. C’est une idylle. L’alternance entre l’identité et l’altérité (« C’est tout comme moi ! C’est le contraire de moi ! ») plonge dans l’hébétude, le ravissement d’enfant. On est tellement enivré qu’on ne voit pas venir le danger.
  Et soudain, l’autre est là, devant la porte. Dessaoulé d’un coup, on ne sait comment lui dire qu’on ne l’y a pas invité. Ce n’est pas qu’on ne l’aime plus, c’est qu’on aime qu’il soit un autre, c’est-à-dire quelqu’un qui n’est pas soi. Or l’autre se rapproche comme s’il voulait vous assimiler ou s’assimiler à vous.
  On sait qu’il va falloir mettre les points sur les i. Il y a diverses manières de procéder, explicites ou implicites. Dans tous les cas, c’est un passage épineux. Plus des deux tiers des relations le ratent. S’installent alors l’inimité, le malentendu, le silence, parfois la haine. Une mauvaise foi préside à ces échecs qui allègue que si l’amitié avait été sincère, le problème ne se serait pas posé. Ce n’est pas vrai. Il est inévitable que cette crise surgisse. Même si on adore l’autre pour de bon, on n’est pas prêt à l’avoir chez soi.
 
  Une forme de vie / Amélie Nothomb
 
  ** Les cinq sens
 
  La vue
  Le manoir est là, par intermittence en tout cas, à la lumière stroboscopique des éclairs. Il impose à ma vue ses ors et ses ombres. Le regard vide des statues me force à courir.
 
  L’ouïe
  Le tambour sans rythme du tonnerre est assourdi par le vent dans les aulnes. Quelques brefs instants de répit, et j’entends le grincement d’une lourde porte, comme une invitation impérieuse.
 
  L’odorat
  Sur le seuil, je suis assailli par des souvenirs d’automne. Il flotte ici comme des odeurs cuivrées, comparables à celles des sous-bois, en plus rance, et je tremble.
 
  Le goût.
  Dans la semi-obscurité, je chute lourdement. Je reconnais alors ce cuivre : c’est celui du sang, maintenant dans ma bouche.
 
  Le toucher
  Je me relève difficilement, quelque chose de poisseux s’accroche à mes doigts. Je préfère ne pas savoir de quoi il s’agit.
 
  Les sentiments
  Alors la peur m’étreint.
 
  ** Sonnet
 
  Le Manoir, au creux des éclairs,
  Impose à ma vue, ses lumières.
  Le regard des statues me raille :
  Mon Dieu, je crois que je défaille.
 
  Le tonnerre joue avec le vent.
  Dans un silence une porte grince,
  Une sorte d’invitation. Ô mince,
  Je l’avoue, je tremble au-dedans.
 
  Les souvenirs cuivrés de l’automne,
  Prennent ici des nuances…
 
  ** Idées lecture
 
  Henri Gougeau (les dits de ShonLang)
  Roy Lewis (Pourquoi j’ai mangé mon père)
  Jean-Claude Carrière
 
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(Dim 23 Janvier 2011 19:22)